mardi 15 mars 2016

Porter le costume : un moyen artistique d’expression et de contestation - Alexandre Hoffarth 2015

Porter le costume : un moyen artistique d’expression et de contestation





Art actuel
AR11143










Dossier réalisé pour : Sophie Bélair-Clément
Remis par : Alexandre Hoffarth
15/12/2015                                                                                                                



Problématique
Le carnaval est une action collective et populaire qui traverse les âges et les thèmes. On le retrouve dès l’époque de l’Antiquité romaine par des fêtes telles les bacchanales, les saturnales ou le culte lié à Dionysos (Pan). Proscrites au bas Moyen-âge pour leur caractère païen, donc contre-chrétien, ces fêtes ont ensuite été adoptées par un processus de syncrétisme pour perdurer jusqu’à aujourd’hui. Dans ce sens si nous prenons le non moins célèbre carnaval de Venise, la tradition des masques et donc du déguisement, est devenue la norme de tous les carnavals. Ces fêtes sont clairement une volonté de travestir son identité à un moment donné et ce pour vivre une expérience unique et peut-être même libératrice. L’origine du mot carnaval[1], du latin « carne » (viande) et «  levare » (lever, ôter), appuie ce sentiment de retirer ce qui fait notre identité afin d’en porter une autre par le déguisement.
Aujourd’hui et depuis une petite dizaine d’années, le carnaval est devenu non plus un seul moyen d’expression, mais aussi un véhicule idéologique de contestation. Comme nous le verrons avec le texte de Claire Tancons (2011) et celui des auteurs Antek Walczak (2014) et Stéphanie Wakefield (2014), le carnaval s’ingère dans la politique actuelle pour appuyer, mais surtout dénoncer les actions du système économique capitaliste et néolibéral. En prenant l’exemple de l’événement d’Occupy Wall Street, nous pouvons mettre en évidence des mécanismes de contestation et d’expression artistique dans une optique de protestation. Cependant, il faut aussi prendre en compte que cette dénonciation du système actuel par l’acte carnavalesque est également empreinte de clichés et techniques eux-mêmes ancrés dans le néolibéralisme globalisant.

Œuvres étudiées
Pour expliciter cette problématique deux œuvres (études de cas) ont été choisi.
La première est une exposition de Claire Tancons «  Up Hill Down Hall » qu’elle a présentée au mois d’août 2014 à Londres. Nous nous attarderons sur les moyens d’expressions qui ont été mis en place et le contexte de Claire Tancons. Cette exposition fait suite au Notting Hill Carnival de Londres afin de montrer l’importance du carnaval dans la résistance des masses et une ode à la performance et la participation civile. 
De même nous situerons Claire Tancons dans son cheminement personnel et professionnel pour établir un lien entre ses intérêts, son travail et ses observations du carnaval comme mode opératoire d’expression anarchique. 
La seconde œuvre qui complémente notre problématique du carnaval concerne le « New Transbohemian States » d’Antek Walczak qui fut exposée en décembre 2013 à Brooklyn (New-York City). Antek Walczack bénéficiera lui aussi d’un rappel biographique et de son curriculum afin de le placer dans son contexte.
Le lien fait avec le sujet du carnaval est dans les portraits de Walczack. Ceux-ci sont basés sur des personnes connus de Walt Disney, mais les points et les traits qui déterminent l’identité de ces portraits sont jonchés de mots et termes évocateurs de la condition actuelle de l’artiste et de sa place dans la société. Tout comme le carnaval cette désincarnation de thèmes récurrents à notre existence, par le port des masques de carnaval par exemple, exprime le mal-être des artistes et d’une catégorie de la population dans la société occidentale.

Enjeux discutés
Les enjeux qui seront présentés concernent en particulier les thèmes liés à l’Anthropocène, c’est-à-dire l’impact que l’Homme, depuis son existence, a sur ce qui l’entoure ; ainsi qu’à la place de l’art dans le monde politico-social d’aujourd’hui.
Dans ce sens il est nécessaire de mettre également en avant la connexion entre cette utilisation du carnaval pour dénoncer les dérives du système, mais aussi la réaction populaire et idéologique dans cette danse collective du carnaval.


Claire Tancons et l’étude du phénomène du carnaval

Le parcours de Tancons
Claire Tancons est née en 1977 en Guadeloupe dans les Antilles françaises. Elle est diplômée en muséologie de l’École du Louvre et de l’université de Montréal en 1999 et en histoire de l’Art du Courtauld Institute en 2000. Elle a suivi des formations en commissariat au Whitney Museum Independant Study Program en 2001 ainsi qu’au Walker Art Center en 2003. Elle a été commissaire associée de Prospect.1 New Orleans, la première biennale internationale dart contemporain de la Nouvelle Orléans et de Contemporary Art Center, aussi à la Nouvelle Orléans (2007-9) et consultante pour le projet de préfiguration de Harlem Biennale (2010-11). En tant que commissaire de la 7ème Gwangju Biennale et de CAPE09, la deuxième biennale du Cap, elle a organisé des performances processionnelles qui mêlent traditions et manifestations politiques dans des parades de carnaval. Ces études ont ouvert la voie à ce qui a depuis été considéré comme un nouveau modèle de commissariat interculturel. Sa spécialité se concentre sur les mouvements populaires et les arts processionnaires  africains et caribéens et s’attache à la reformulation de « l’art performance »
Elle est régulièrement  invitée à parler de ses travaux dans des institutions artistiques et universitaires autant en Europe (Musée du Quai Branly et EHESS à Paris, Institut Courtauld à Londres, au Platform 3 à Munich, au C Festival à Faenza, au Ujadowski Castle à Varsovie et d’autres encore) qu’en Amérique du Nord (Wexner Center for the Arts, New Orleans Museum of Art, Temple University, SUNY Buffalo, University of California at Santa Cruz etc aux Etats Unis, The Western Front et Simon Fraser University au Canada). De même en Amérique Latine (Museo del Arte Moderna Rio de Janeiro) et en Asie (Chomnam University en Corée du Sud, Yugchenko Museum aux Philippines).

Expositions et œuvres
Avant de se pencher sur l’événement d’Occupy Wall Street de 2011 dont Claire Tancons en a fait un article scientifique, nous allons discuter de l’exposition réalisée en 2014 par Claire Tancons à Londres au BMW Tate Live[2].
Pour faire suite au Notting Hill Carnival[3], le plus grand événement de rue du Rouyaume-Uni, Claire Tancons avait choisi de porter cet événement festif et costumé dans un art plus engagé. Son but était, par le biais de la performance, de remettre de l’avant les origines caribéenne du Notting Hill Carnival. Elle définie son événement comme un medium de production artistique et une forme de message social et politique qui utilise le carnaval comme représentation matérielle. Par ailleurs, elle considère son événement comme un hommage, peut être même une continuité, à la résistance au colonialisme et au racisme.  

Antek Walczak : identité(s) et politique(s)

Le parcours de Walczak
La vie d’Antek Walczack débute en 1968 à Grand Forks dans le Dakota du Nord. Il fut élevé à Pittsburgh en Pennsylvanie et reçu un BFA de l’École d’Arts Tisch de l’Université de New-York. Son travail fut vu au Cinematexas à Austin, au Centre Pompidou à Paris, au Fri-Art de Fribourg, en Suisse ainsi qu’au Musée Ludwig de Cologne. Il est un membre essentiel de la Corporation Bernadette depuis 1994. Il a écrit pour les magazines Purple, Pazmaker, Zehat et Made in USA (traduction libre à partir de l’anglais)[4].

Exposition étudiée et œuvres
Comme il le fut mentionné  précédemment, les œuvres de Walczack qui sont étudiées dans ce dossier sont issues de l’exposition « Transbohemian States » à Brooklyn en 2013. Walczack présenta des figures emblématiques incontournables. En utilisant des personnages issus de la culture de l’animation de notre enfance, soit Walt Disney, Walczack capte notre attention avec curiosité. Que ce soit Mickey Mouse, Donald Duck ou le bien nommé Bip Bip, le message fléché et numérique à décoder est toujours le même : « I want to be a contemporary artist … ». Toutefois le message est tout autre. Même si les formes changent, Walczack démontre que même si l’on change d’identité de personnage de fiction, le message reste le même. Notre regard ne suit pas le « Z » visuel et naturel que l’être humain utilise pour déchiffrer une image. Ce chemin est balisé. Dans ce sens on revient toujours au même point et ce quelque soit l’identité que l’on incarne. La récurrence revient en boucle et se referme par la même conclusion.
Comme il a été évoqué au précédent chapitre, un lien étroit peut être fait avec le travail spécialisé de Claire Tancons, notamment dans son exposition « Up Hill down Hall » de Londres où une identité collective dans une approche carnavalesque par le biais des costumes, de leurs formes et de leurs couleurs, nous indique l’intensité du message véhiculé. Notre esprit s’accroche à ce mouvement chorégraphié, mais surtout à la politique de contestation idéologique mise en avant par la dichotomie des « policiers » armés de bâtons et de boucliers représentant un étendard du fameux 31 Downing Street (résidence connue des 1er ministre britannique) face à la manifestation de ces costumes noirs et clonés ; probablement pour démontrer l’unicité et la perte de l’identité individuelle face à l’État (autorité et institutions). Ceux-ci semblent les emprisonner dans une forme qui cherche à s’émanciper et à s’envoler. Peut-être que je me trompe, mais dans un sens ces costumes me rappellent des ailes moirées de chauve-souris ; animal qui vit caché, déconsidéré, loin des regards.



Porter le costume, s’identifier et revendiquer

Le carnaval comme identité collective
Dans ce sens, le carnaval peut être considéré comme un moyen de contestation social face au néolibéralisme. A partir de Dans un article du journal britannique The Guardian, il est fait mention que : « Communism is not just or predominantly the carnival of the mass protest when the system is brought to a halt; Communism is also, above all, a new form of organization, discipline, hard work. »[5] . Il est vrai que lorsque l’on analyse le comportement organisationnel des « carnavaliers-manifestants », de nombreux slogans inscrits sur les panneaux de bois et de cartons font référence, indirectement, à une lutte des classes. Toutefois, il ne faut pas confondre cette lutte des classes avec une allégeance au marxisme ou au communisme. Comme le disait Marx : « ce n’est pas le texte qui compte mais la grille de lecture ».
Être engagé n’est pas seulement une parole écrite sur une banderole, c’est surtout une action, une mobilisation contre un objectif (et un objet abstrait ?) commun. Dans ce sens, le « carnaval engagé » est également une image de pouvoir parce que celui-ci se concentre sur la capacité à unifier pour influencer[6]. Faire parti d’un tout, forge une identité collective qui ici est basée sur l’idéologie politique.
Et c’est là qu’il y a une différence avec le travail de Walczack. Celui-ci se situe au niveau de l’individualisme d’identité puisque le public a intégré depuis leur enfance, soit les personnages de Disney.




Entre contestation sociale et acceptation
À y regarder, l’événement d’Occupy Wall Street est entourée par la notion d’Art engagé qui est fortement présente. Mais ce qui frappe vraiment c’est l’utilisation de termes issus du vocabulaire militaire : occupation, mobilisation, parade… Occupy Wall Street est dans la mouvance d’autres contestations politiques comme le mouvement des Indignés en Espagne ou même un carnaval à Toulouse pour protester contre Dilma Roussef, la présidente brésilienne[7].
Toutefois, la réception critique ne fut pas à la hauteur des attentes des carnavaliers-manifestants. Certes ils furent soutenus par de nombreuses personnalités : acteurs, économistes (Stiglitz entres autres), patrons (Steve Jobs et Bill Gates !), qui sont toutefois des tenants d’un certain néolibéralisme.  
Ne voulant pas faire partie des fameux 1% de la population mondiale qui détient la très grande majorité des richesses planétaires, les manifestants sont soutenus par des représentants de cet ordre[8].
De même le nombre de personnes attendus était très élevé et ne fut pas comblé. Seulement 1000 personnes se sont déplacées pour l’événement et environ 8000 au 5 octobre 2011, date de la manifestation.
Pourrait-on dire que la majorité des citoyens de New-York acceptent la domination du système néolibéral ? Peut-être. Est-ce la forme qu’Occupy Wall Street a prise qui a pu rebuter les citoyens ? Peut-être également et là il y a une certaine acceptation de la part du public.
Cependant, Occupy Wall Street est  reconduit chaque année depuis 2011[9].



Commentaire critique
Occupy Wall Street n’est pas un carnaval au sens propre du terme, contrairement au Notting Hill Carnival de Londres, mais plutôt une manifestation déguisée pour appuyer des revendications politiques. Dans un sens nous sommes plus proches d’une parade militaire que d’une fête, plus proche d’une marche d’un parti que de l’amusement.
Si l’on prend l’exposition de Tancons en 2014, le traitement est assez simpliste : d’un côté les oppresseurs (des blancs avec des cornes, des bâtons et des boucliers) et de l’autre les opprimés (en noir dans une combinaison étriquée). D’ailleurs, je crois que si Occupy Wall Street n’a pas le succès espéré c’est à cause d’un message trop « banal » de la lutte contre le « système ». Malheureusement lorsque l’on regarde on ne peut que se référer au fameux « intellectuel prolétaroïde » de Karl Marx[10], qui en d’autres mots est  on se rend compte que les artistes Claire Tancons, Antek Walczack et les organisateurs/participants d’OWS en sont des archétypes probants. L’intellectuel prolétaroïde est issu des classes moyennes élevées et de la petite bourgeoisie, au sens marxien du terme. Ceux-ci ont reçu une instruction élevée mais n’ont pas les  rênes du pouvoir qui appartiennent à l’aristocratie ou à une oligarchie. Ils utilisent donc des moyens visuels et bruyants pour se faire voir et surtout que l’on entende leurs revendications ; ici le partage des richesses.
Il est difficile de concilier l’art et la politique, mais il faut saluer le courage d’essayer ; tout comme les recherches de Claire Tancons dans ce domaine qui est presque vide de références, mis à part quelques écrits en sociologie, communication et sciences politiques.
Critique mise à part, je ne comprends toujours pas pourquoi Claire Tancons qui a le français comme langue maternelle, n’ait même pas proposée son site internet ni ses textes en français. Pourtant la grande majorité de son parcours scolaire s’est fait en français (Pointe-à-Pitre sur l’île de la Guadeloupe, Paris, Montréal). Tancons, qui est métisse, est le fruit de la culture créole métissée africaine, caribéenne et française. Est-ce un déni d’identité ou au contraire une recherche d’identité ? Faut-elle qu’elle rencontre Walczack ?


Bibliographie argumentée

Articles scientifiques au cœur du dossier
Tancons (2011), Claire, « Occupy Wall Street: Carnival Against Capital ? Carnivalesque as Protest Sensibility », in e-flux journal n30, décembre 2011.
·         Cet article de Claire Tancons s’intéresse à l’impact de l’évènement d’Occupy Wall Street à New-York en 2011. Elle s’intéresse sur le mouvement de masse qui a permis de rassembler des milliers d’individus jouant un rôle de dénonciation face au système économique néolibéral. Dans ce sens, elle fait le lien et la différence entre le carnaval pratiqué dans les Caraïbes (sa patrie) et celui de New-York.

Wakefield (2014), Stephanie, Walczak (2014), Antek, « Qu’est-ce que la politique dans l’Anthropocène ? Une conversation entre Stephanie Wakefiel et Antek Walczack », in May n 13
·         L’Anthropocène doit être compris comme l’action de l’Homme sur la nature, mais comme le rappellent Walczack et Wakefield, l’être humain reste un animal passionné par la politique. Walczack met aussi de l’avant l’utilisation de la connaissance et de la culture artistique dans la nouvelle ère théorique de l’Anthropocène.

Articles de journaux complémentaires sur le web
Grasso, Sylvana, « Carnaval brésilien : la fête sur fond de contestation sociale », in La Dépêche (France), publié le 23/06/2013, http://www.ladepeche.fr/article/2013/06/23/1656286-carnaval-bresilien-la-fete-sur-fond-de-contestation-sociale.html 
·         Cet article explique comment le carnaval de type brésilien est utilisé dans la ville de Toulouse (France) pour dénoncer les politiques d’austérité. Cet événement s’accorde avec la problématique édictée dans ce dossier.
Zizek, Slavoj, « Occupy Wall Street : what is to be done », in The Guardian (Royaume-Uni), publié le 24/02/2012, http://www.theguardian.com/commentisfree/cifamerica/2012/apr/24/occupy-wall-street-what-is-to-be-done-next
·         Cet article fait suite à l’événement d’Occupy Wall Street en 2011 son sujet d’étude de Claire Tancons publié en décembre 2011. L’article pose la question simple du « Oui… mais après? » ; le journaliste analyse les impacts de cet événement, mais aussi du pourquoi cela a été fait. De la même manière il s’interroge sur l’utilisation du carnaval comme moyen de contestation.

Sites internet spécialisés
Site internet de Claire Tancons qui présente l’auteur ainsi que ses réalisations dans la curation des arts : http://www.clairetancons.com/index.html
Site internet consacré à la biographie et aux œuvres d’Antek Walczak http://www.eai.org/artistTitles.htm?id=13090

Monographies complémentaires
Colas (2006), Dominique, « Chapitre IX : Modes de communication », p 339-378, in Sociologie politique, PUF, 2006
·         Dominique Colas établit une liste argumentée des moyens de communication dans la société, notamment sur celui de l’expression du corps, de l’écriture et du langage.

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