mardi 15 mars 2016

Herbert Spencer ou l'Homme au dessus de tout - Alexandre Hoffarth 2008

Herbert Spencer ou l'Homme au dessus de tout



Pour le cours: Histoire des pensées sociologiques.


SOC2503
Automne 2008
Professeur : Thibault Martin



Réalisé par Alexandre Hoffarth






Herbert Spencer, ou l’Homme au dessus de tout.
Table des matières :
-          Introduction : pages 3-4
-          L’Individu contre l’État : La lutte pour l’évolution : pages 5-10
-          Deux divisions du travail : La liberté et la solidarité : pages 11-13
-          Épilogue des idées spencérienne : pages 14-16
-          Bibliographie : page 17

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 (en.wikipedia.org)

Introduction :
            Herbert Spencer (1820-1903) est né en 1820 à Derby au Royaume-Uni et grandit dans une famille de radicaux. Ceci le poussa très vite à rejoindre diverses associations, dont la plus célèbre fut l’Anti-Corn Law League qui eut peu de succès, mais qui annonçait déjà son tempérament libéral pour ce qui a trait à l’économie. Sa carrière débuta comme ingénieur dans les chemins de fers, mais son apport fut sociologique.

Spencer est un fervent partisan de la structure animalisée de la société ; il se fonde sur une base biologique afin d’expliquer des phénomènes sociaux et cela dès les années 1850. Il s’appuie également sur Auguste Comte pour étayer son modèle par le fait qu’il recherche une approche scientifique et méthodique à sa pensée: « son naturalisme consiste à postuler une analogie entre les sciences de la nature et celles de l’Homme »[1].

Spencer ne tardera donc pas à établir une pensée biologique à la société, et cela bien avant Charles Darwin et son évolutionnisme : «  De l’origine des espèces », qui ne sera publiée qu’en 1867. Darwin et Spencer et se complètent dans le sens où l’un décrit les évolutions biologiques des corps et l’autre de ces changements qui affectent le contenu social et structurel d’une société. Mais paradoxalement, ce sont les écrits de Darwin qui vont donner à Spencer toute son influence ; ceci pourrait être expliqué par le fait que la « science pure » a trouvé un nouveau paradigme pour expliquer l’origine de l’Homme. Selon Spencer, plus les hommes évoluent, plus ils se complexifient et devraient avoir de moins en moins recours à l’utilisation de forces coercitives telles que l’État ou l’armée.
L’ouvrage « l’Individu contre l’État » en est le parfait exemple. A travers quatre chapitres, il va avancer certaines thèses que l’on pourrait qualifier d’anti-État.

Dans la première partie de la dissertation, nous présenterons la pensée sociologique de Spencer ainsi que son ouvrage « The man versus the state ». Nous discuterons donc de la notion d’État pour Spencer, ainsi que du militarisme, qui selon lui briment la liberté des individus. La seconde sous partie est axée sur le facteur travail dans ce qu’il appelle l’esclave du futur. 
Afin de tester la pensée spencérienne, nous allons à travers Emile Durkheim, apporter une critique du modèle spencérien par l’ouvrage : « De la division du travail social », en comparant ce que l’on pourrait appeler la division biologique sociétale à la division du travail social.
En guise de conclusion, nous montrerons les éléments qui ont influencés les penseurs contemporains de Spencer et comment celui-ci s’inscrit à une époque où la science de l’homme se confondait avec la biologie. Nous épiloguerons brièvement sur les apports de l’approche spencérienne à la sociologie puis à la politique nationaliste et poserons diverses questions quant à sa pensée élargie.


L’individu contre l’État : La lutte pour l’évolution
Herbert Spencer n’est pas à proprement parler d’un véritable sociologue au sens commun du terme. Dans son ouvrage des « Principes de sociologie », il utilise le principe d’évolution naturelle dans la société[2]. Avant Darwin, il va formuler une pensée disant que les sciences appliquées à l’Homme trouvent leurs origines dans la biologie. Darwin, lui, ne s’attardera qu’au fait biologique facteur de transformation et d’évolution. Cette pensée « spencérienne » sera nommée « l’organicisme » car elle subordonne la sociologie aux thèses biologiques faisant une analogie des individus à un corps social vivant tel un organe ou un être vivant[3]. Durkheim par exemple, reprendra beaucoup cette analogie entre la société et les organes biologiques afin d’expliquer sa doctrine fonctionnaliste[4].
Etudier la société dans son évolution technique est  une base d’apprentissage sociologique importante pour Spencer. Pour lui, l’évolution des Hommes se traduit surtout par une évolution technique, donc scientifique. La progression se fait au niveau de la transformation de la division du travail. On passe donc d’une société homogène, qui en fait n’a pas connu d’éléments extérieurs, vers une société hétérogène dans sa division des taches :
« Celle-ci va d’un état d’homogénéité relativement indéfinie et incohérente à un état d’hétérogénéité relativement définie et cohérente »[5].

Ceci est illustré par un processus  que l’on qualifie de civilisateur et qui se met en œuvre dans sa chaque nation. La société, sous sa forme première primitive était selon lui, un agrégat homogène d’individus polyvalents dans les « taches » à accomplir afin de pourvoir à la survie de la tribu. Tous les hommes étaient à la fois guerriers, fermiers, artisans, pêcheurs, forgerons et maçons et seule une division guerrière, comme le nomme Spencer, existait. Puisqu’au final la fonction militaire prédominait dans le but d’assurer la survie du groupe face aux autres tribus belliqueuses. En ce qui concerne la gente féminine, leur rôle était dévolu aux travaux ménagers et à élever les futures générations. Chaque structure familiale était finalement assez autonome et aurait pu vivre séparément des autres puisque l’interdépendance dans le système de production et d’échange n’existait pas.
Pour Spencer, c’est l’apparition de la division des tâches sociales qui permit de structurer des gouvernements. En fait, lorsque la population devenait assez nombreuse, il fallait se trouver un chef qui guide la tribu. Nous avons donc là les prémices de l’instauration d’un gouvernement de cité. L’autorité devint ensuite héréditaire et la religion commença à coexister avec l’État. D’où une instauration légitime et divine de la monarchie centrée sur le pouvoir militaire. Bien évidemment avec l’apparition de tout cela, les lois et les codes (tables d’Hammourabi à Babylone, par exemple) furent instaurées. Et c’est à ce moment précis, dans la pensée de Spencer, que la division du travail commença. Cette évolution sociale fit en sorte que les hommes s’adaptèrent à ce nouvel environnement jusqu’à finalement se différencier en terme de classe. Prenons en exemple le moyen-âge avec les trois classes sociales en vigueur, les prêtes (oratores), les guerriers (bellatores) et ceux qui travaillent (laboratores). Selon Spencer, la division du travail reposait avant tout sur le caractère militaire de la structure gouvernementale et enrôlerait obligatoirement le citoyen libre :

“An obvious implication is that the ethics of Government, originally identical with the ethics of war, must long remain akin to them ; and can diverge from them only as warlike activities and preparations become less. Current evidence shows this. At present on the Continent, the citizen is free only when his services as a soldier are not demanded ; and during the rest of his life he is largely enslaved in supporting the military organization. Even among ourselves, a serious war would, by the necessitated conscription, suspend the liberties of large numbers and trench on the liberties of the rest, by taking from them through taxes whatever supplies were needed – that is, forcing them to labour so many days more for the State. Inevitably the established code of conduct in the dealings of Government with citizens, must be allied to their code of conduct in their dealings with one another”[6].

On peut donc dire que Spencer s’aligne dans une perspective historique d’évolution sociale. Dans le fond, Marx et Engels se serviront également de ce principe évolutionniste pour valider leur théorie de sociohistorique[7]. On peut donc dire qu’à la base, et à cette époque, bon nombre de sociologue partent du principe que l’Histoire est marquée par la transformation de la société. Tout cela fut donc renforcé par la démonstration scientifique de la théorie de l’évolution de Darwin.

Dans le premier chapitre intitulé « the New Toryism » (le nouveau torysme), Spencer nous démontre que l’ancien régime politique et le nouveau ont seulement pour différence un procédé de changement, d’évolution. Pour Spencer, il existait bien avant la fondation des deux partis, Tories et Whigs, deux types de conceptions idéologiques politiquement différentes. Les Tories étaient traditionnellement plus attachés à la terre et aux valeurs conservatrices nationales de l’État régulateur de la vie commune, en d’autres termes la politique du Léviathan de Hobbes. Mais une connotation militariste est avancée par Spencer pour qualifier les Tories ; les Whigs avaient par contre une conception « industrielle » du monde, ils sont les « libéraux » et les héritiers du contrat social et d’autres formes politiques moins coercitives pour le peuple. Il cite par ailleurs une phrase populaire qui résume la situation politique au Royaume-Uni pendant la Révolution : 

« At the period of the Revolution, while the villages and smaller towns were monopolized by Tories, the larger cities, the manufacturing districts, and the ports of commerce, formed the strongholds of Whigs »[8].

Il y a donc pour lui une démonstration que les Tories sont plus ancrés dans les structures traditionnelles, conservatrices et moins « évoluée » dans le sens du développement industriel. Pour Spencer il y a donc un conflit entre « ancien monde » militariste et « nouveau monde » industriel basé sur la connaissance scientifique. On retrouve là donc un dogme Comtien et Saint-simonien qui fait que « le progrès est la loi de l’histoire de l’Humanité »[9]. En d’autres termes, l’Humain évolue en développant ses connaissances de ses moyens techniques et par la recherche permanente du savoir scientifique : «  la croyance en l’efficacité des sciences de la nature et d’une possible science de la société les renforce et leur offre une légitimation ».

Cependant, l’Etat et ses politiques ne sont pas toujours un facteur d’évolution sociétale et là encore il revient sur un exemple concernant le Torysme :

“If, away in the far East, where personal government is the only form of government known, he heard from the inhabitants an account of a struggle by which they had deposed a cruel and vicious despot, and put in his place one whose acts proved his desire for their welfare. He told them that they had not essentially changed the nature their government. (...). The substitution of a benevolent despot for a malevolent despot still left the government a despotism. Similarly with Toryism as rightly conceived. Standing as it does for coercion by the state versus freedom of the individual, Toryism remains Toryism, whether it extends this coercion for selfish or unselfish reasons.”[10]

Plus que tout, c’est la liberté de l’individu qui permet les évolutions. Si on regarde son parcours politique, il a toujours milité pour interdire les lois sociales qu’ils jugent contraignantes pour l’Homme. Rappelons-nous de son militantisme acharné dans le mouvement anti-corn laws. L’intervention de l’État est donc un reliquat du conservatisme Tory qui voit dans sa mission un signe presque providentiel, au sens biblique du terme :

“The great political superstition of the past was the divine rights of the kings. The great political superstition of the present is the divine rights of parliaments. The oil of the anointing seems unawares to have dropped from the head of the one on to the heads of the many, and given sacredness to them also and to their decrees”[11]

Au final, si un individu ou un groupe de personnes sont touchés par les crises, qu’elles soient économiques ou sociales, ils doivent s’adapter ou s’éteindre pour faire place à un Homme d’un nouveau genre. Un Être qui saura faire face, et donc évoluer, afin de devenir la nouvelle génération résistante aux crises. La société en sortira donc plus forte. L’intervention de l’État perturbe donc le rôle naturel de l’évolution dans la société.
Cette évolution ne peut venir que de l’industrialisation, de la science et du libéralisme économique. Pour lui, les prix devaient augmenter pour ensuite se stabiliser à un seuil acceptable. En d’autres termes, il croyait dans le libre marché vecteur d’évolution des sociétés. Spencer défend donc le libéralisme dans une époque où les lois sociales en Angleterre font leurs apparitions. Le 19ème siècle est une période où développement économique et industriel côtoie la misère des ouvriers et des reclus de la société dénoncé dans le livre « Situation de la classe laborieuse en Angleterre » de Friedrich Engels en 1845. On peut même citer Benjamin Disraeli dans son ouvrage « Sybil, or the two Nations »,  la même année, où il distingue : « l’existence d’un peuple blanc esclave, dans une Angleterre aux disparités sociales accentuées ». Sans oublier Charles Dickens, avec « Oliver Twist », qui dépeint une société britannique inégale et cruelle.
Spencer voit donc le monde d’une autre façon. Un univers où « la libre entreprise et l’initiative privée »[12] doivent gérer toutes les affaires publiques. Le gouvernement doit donc être réduit au strict minimum, soit à ses fonctions régaliennes. Là encore la nature doit prendre le dessus pour sélectionner les plus aptes :

« Mr Darwin called-it, co-operating with a tendency to variation and to inheritance of variations, he has shown to be a chief cause (though not, I believe, the sole cause) of that evolution through which all living things, beginning with the lowest and diverging and re-diverging as they evolved, have reached their present degrees of organisation and adaptation to their modes of life. So familiar has his truth become that some apology seems needed for naming it. And yet, strange to say, now that this truth is recognized by most cultivated people – now that the beneficent working of the survival of the fittest has been so impressed on them that, much more than people in past times, they might be expected to hesitate before neutralizing its action – now more than ever before in the history of the world, are they doing all they can to further survival of the unfittest ! But the postulate that men are rational beings, continually leads one to draw inferences which prove to be extremely wide of the mark ».[13]

Nous voyons donc dans l’Individu contre l’Etat, que La lutte pour l’évolution de l’Homme se situe donc dans un conflit entre les structures anciennes et modernes de la société. Spencer fait donc l’apologie d’un Etat faible (voire inexistant) qui laisse toutes les forces du marché s’accaparer des faits sociaux. Il y aurait presque une tendance libertarienne, ou anarchiste, dans le fait que l’État n’est pas indispensable et que chacun devrait être libre d’y adhérer ou non. L’État entraine donc une dépendance qui limite les capacités humaines de coopération dans la vie sociale :

“They do not remember that, in one or other way, all these truly Liberal changes diminished compulsory co-operation throughout social life and increased voluntary co-operation. They have forgotten that, in one direction or other, they diminished the range of governmental authority, and increased the area within which each citizen may act unchecked. They have lost sight of the truth that in past times Liberalism habitually stood for individual freedom versus State-Coercion”[14].

L’individu doit donc se libérer de l’État pour atteindre sa pleine harmonie et c’est en cela que l’individualité est le facteur essentiel de développement pour Spencer. L’Être Humain doit être libre de toute contrainte comme nous le verrons dans la suite du travail.


Deux divisions du travail : la liberté et la solidarité.

Si la division du travail a un rôle d’évolution pour les deux auteurs : Spencer se situe sur une base plus biologique et Durkheim vers le fonctionnalisme qui caractérise en partie nos sociétés actuelles.
Il est intéressant de comparer deux pensées qui ont toutes deux marquées l’histoire de nos sociétés modernes. Pour celle de Spencer, c’est par la liberté individuelle que l’on pourra atteindre une intégration dans la société et cela sans l’aide de l’État ou d’un autre moyen de « coercition ». Durkheim affirme que ce sont les types de solidarité qui permettent une division du travail équitable et bénéfique à la société. Si ces solidarités sont mises à mal, l’anomie devient la norme. C'est-à-dire, la conséquence d'un état anormal de la division du travail qui n'est plus en mesure de produire de solidarité.

D’un autre côté nous avons Herbert Spencer qui avance une théorie selon laquelle les hommes évoluent dans la société et vivent de manière inégalitaire. Ceux qui n’ont pas su s’adapter disparaissent ou se transforment en une entité autre, un nouvel humain en quelque sorte. Ces nouvelles personnes, mieux adaptées à leur environnement, pourront faire face à d’autres difficultés rencontrées en société.

Pour Durkheim, lorsqu’il publie en 1893 « De la division du travail social », il démontre que la division du travail est bien plus qu’une simple différenciation des métiers et des tâches à accomplir en société. Il dit lui-même : « les services économiques qu’elle peut rendre sont peu de chose à côté de l’effet moral qu’elle produit ; et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité »[15]. La principale fonction de la division est donc d’assurer la paix et l’ordre social, toutefois il existe des différenciations de statuts sociaux, de strates sociales.

En outre, l’essor de la division du travail est le fruit de la combinaison de plusieurs facteurs : «  Nous disons non que la croissance et la condensation des sociétés (…) nécessitent une division plus grande du travail. Ce n’est pas un instrument par lequel celle-ci se réalise ; cela en est la cause déterminante »[16]. Comme nous le disions plus haut, la révolution industrielle et scientifique a permis l’accroissement de la population (en particulier les classe laborieuses), mais avant par le passage anthropologique de la tribu au gouvernement de la cité. Une population nombreuse ne peut coexister pacifiquement avec les mêmes rites et traditions qui caractérisaient leur collectif primitif. De plus, les échanges commerciaux accentués par le libéralisme économique a conduit à une spécialisation des échanges, donc à la division du travail. Ceci a donc créé une interdépendance économique et sociale, le monde moderne ne peut plus vivre dans l’autarcisme économique et l’anarchie politique. 

Donc, dans le fonctionnalisme, la relation entre le travail et l’intégration sociale est étroite. Le travail a un rôle essentiel dans la participation à la position sociale de l’individu. La « situation » lorsque l’on parle d’une personne est le référant principal dans la société. La situation est donc un aspect concourant à la fonction d’intégration dévolue au travail. On y trouve aussi une fonction d’insertion. L’individu a une utilité sociale car il occupe une place dans le système d’interdépendance créée par la division sociale du travail. De plus, l’emploi c’est aussi l’appartenance à un groupe, à un collectif d’individus auquel il est possible de s’identifier. Il ne faut pas oublier le rôle du revenu dans la société, celui-ci permet à un individu de garder sa place, son rang, son statut social et également d’intégrer pleinement la société de consommation qui est la norme suivie par tous. Pour Durkheim et son fonctionnalisme, la division du travail est avant tout sociale et est porté sur un esprit d’égalité mis en place par l’État. C’est donc dans cette perspective qu’il est opposé à Spencer qui prône son libéralisme pur et dur. Par ailleurs Spencer qualifierait presque les idées de Durkheim de marxiste, qui affaiblirait l’individu en le rendant dépendant de toutes sortes de lois et organismes visant à le protéger. Pire encore pour lui, une division du travail formulée par l’État entrainerait un affaiblissement général et la mise en place du socialisme esclavagiste :

“Thus influences of various kinds conspire to increase corporate action and decrease individual action. And the change is being on all sides aided by schemers, each of whom thinks only of his pet project and not all of such are working out. It is said that the French Revolution devoured its own children. Here an analogous catastrophe seems not unlikely. The numerous socialistic changes made by Act of Parliament, joined with the numerous others presently to be made, will by and by be all merged in State-socialism- swallowed in the vast wave which they have little by little raised. “But why is this change described as the coming slavery?” is a question which many will still ask. The reply is simple. All socialism involves slavery “[17].  

Il y a donc un lien entre politique et économie dans le fait que l’Homme évolue par rapport à son système de division du travail. La différence entre Spencer et Durkheim, c’est que pour le premier, elle se situe dans le un caractère de conflit permanent et naturelle des plus aptes à survivre pour établir leur domination ; pour Durkheim, le fonctionnalisme fait justement en sorte que l’État doit aider les « parties défectueuses » de l’organisme social. Pour un c’est la Nature de l’Homme individuel qui domine et pour l’autre c’est la mécanique de la société qui doit prendre en charge les individus afin de réparer les insuffisances du système. Dans le fond le débat idéologique repose sur le conflit entre liberté et égalité.


Épilogue des idées spencérienne:

Avant de conclure sur la sociologie de Spencer (qui n’en est pas vraiment une au sens propre), il faut replacer le contexte historique dans lequel il se trouve lors de l’écriture de son idéologie.
Le 19ème siècle est une époque de bouleversements sociaux par l’industrialisation et les progrès des sciences. Avec les nouvelles découvertes, les puissances occidentales approfondissent leurs connaissances d’ethnies reculées qui connaissent encore des structures primitives, dans l’esprit des occidentaux, de gestion de la société, de coutumes et de rites. En outre, il existe un écart technologique très important entre ces tribus (ou même nations traditionnelles comme le Japon dans la première moitié du 19ème) qui pousse à opter dans le sens de la conscience populaire occidentale à affirmer le « spencérisme social » comme vérité scientifique universelle. Cette vision appuie donc la mission providentielle de l’impérialisme et du colonialisme : « Les lois qui régissent les organismes vivants s’appliquent également aux sociétés. Les principes d’évolution, croissance des mieux doués, atrophie des inutiles. Il est donc normal que l’homme civilisé conquière le monde »[18]. Ajouté à cela le désir d’étendre sa puissance politique et nous avons tout le contexte militaire et diplomatique des grandes puissances de l’époque jusqu’à la fin de la première guerre mondiale en 1918.

Mais les idées de Spencer ont fait leur chemin encore jusqu’au moins au milieu du 20ème siècle et plus particulièrement dans les années 30 avec la montée du nationalisme et de l’idéologie « bio-historique » qui va alimenter les doctrines racistes. Prenons par exemple Oswald Spengler dans son ouvrage « Le Déclin de l’Occident » qui défendait la thèse selon laquelle le libéralisme ploutocratique et démocratique ainsi que le marxisme corrompent la nature même de la civilisation occidentale : « Les cultures sont des organismes. L’histoire universelle est leur biologie générale »[19]. L’histoire prend donc une dimension biologique. Plus loin encore avec Alfred Rosenberg, le maitre à penser du national-socialisme dans le « Mythe du XXe siècle ». Il reprend le thème de la race aryenne qui est en conflit permanent avec les sémites qui veulent « enjuiver » le monde pur des aryens par l’instauration du libéralisme et du marxisme[20]. Nous avons donc un mélange des idées biologique héritées de Darwin et bien sûr Spencer ainsi que le bio historisme de Spengler. Cela donne donc le cocktail détonnant d’une doctrine raciste politique légitimée par le fait que l’individu occidental en général, est supérieur aux autres races. Le plus ironique dans tout cela est que Spencer était un antimilitariste et impérialiste puisque libertarien au vu de toutes les critiques formulées sur la question de l’État.

Actuellement, l’utilisation de la nature est toutefois tentante pour expliquer les faits sociaux. On le voit souvent aujourd’hui avec certains comme le canadien J. Philippe Rushton, que j’ai personnellement découvert lors de l’examen de session, qui propose une explique sociobiologique pour expliquer les différences entre les êtres humains. Ainsi il se pose la question de savoir si « une race ou une autre » est supérieure dans la société à une autre. En France ce sont les identitaires menés par entre autre Alain de Benoist qui se posent ce genre de questions. Comme quoi, les débats d’hier sont encore présents aujourd’hui.

Avec un peu d’humour noir et d’imagination, on peut se permettre de penser au futur de ce genre d’approche ou même si celle-ci avait prédominée dans l’Histoire. A l’ère de la génétique, nous pourrions établir un programme d’eugénisme dans la société afin d’évacuer les imperfections de la race humaine.  

Pour conclure, Spencer est dans le fond un véritable libéral au sens brut du terme. Sa liberté individuelle s’inscrit à contre-courant du fonctionnalisme durkheimien. Si pour Spencer l’anarchie libertarienne et la division du travail « naturelle » permet à l’Homme de s’émanciper ; pour Durkheim, cette anomie dans la division du travail fait en sorte que la société est sclérosée. Toutefois, Spencer en développant sa théorie autour des sciences de la nature, dites pures, a réussi à légitimer ses positions. Dans ce sens, il est d’ailleurs très moderne puisqu’il tourne toujours autour de la connaissance scientifique et de la technologie, du positivisme et de l’utilitarisme, pour comprendre l’évolution des sociétés. De nos jours, il est encore très tentant d’insérer une dose de biologie dans la sociologie pour expliquer les faits sociaux, parce que ceux-ci trouvent toujours une explication naturelle ou sociologique. De plus, il est souvent difficile de nous séparer de nos préjugés et de ce qui nous parait comme une évidence.

Finalement, Spencer avait peut être raison, nos sociétés sont-elles devenues faibles en sauvant « les moins aptes » à la survie et en instaurant toujours des compromis sociaux sans réels changements. Je ne cautionne en rien son libertarisme inégalitaire, mais au vu de nos sociétés et de notre système politique démocratique en occident ; on est en droit légitime et libre de toute contrainte, de se poser la question : Et si ?
A bon entendeur, bien sûr.


Bibliographie :
-          Spencer, Herbert (1885), « The man versus the state », Watts, Thinker’ library collection, United Kingdom’s, 1940.
-          Pisier, Evelyne (2005), « Histoire des Idées Politiques », PUF, France, ISBN : 2 13 053660 3.
-          Delas, Jean-Pierre ; Milly, Bruno (2005), « Histoires des pensées sociologiques », Armand Colin, France, ISBN : 2 24704303 8.
-                     -           Durkheim, Emile (1893), « De la division du travail social », téléchargé sur le     site : http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/




[1] Delas, Jean-Pierre ; Milly, Bruno (2005), « Histoires des pensées sociologiques », P 42-43
[2] idem
[3] idem
[4] idem
[5] Pisier, Evelyne (2005), « l’État-Société : La dogmatique évolutionniste: le système de Herbert Spencer », Histoire des idées politiques, p 174-176.
[6] Spencer, Herbert (1885), « The sins of legislators », The Man versus the State, p54-94
[7] Pisier, Evelyne (2005), « l’État-Société : La dogmatique évolutionniste: le système de Herbert Spencer », Histoire des idées politiques, p 174-176.
[8] Spencer, Herbert (1885), « The new Toryism », The Man versus the State, p1-21
[9] Pisier, Evelyne (2005), « l’État-Société : La dogmatique évolutionniste: le système de Herbert Spencer », Histoire des idées politiques, p 174-176.
[10] Spencer, Herbert (1885), « The new Toryism », The Man versus the State, p1-21

[11] Spencer, Herbert (1885), « The great political superstition », The Man versus the State, p95-130
[12] Pisier, Evelyne (2005), « l’État-Société : La dogmatique évolutionniste: le système de Herbert Spencer », Histoire des idées politiques, p 174-176.
[13] Spencer, Herbert (1885), « The sins of legislators », The Man versus the State, p54-94
[14] idem
[15] Durkheim, Emile (1893), “Livre 1 : La fonction du travail », De la division du travail social, p 32 (de la version électronique).
[16] Durkheim, Emile (1893), “Préface de la seconde édition », De la division du travail social, p 1-19 (de la version électronique).
[17] Spencer, Herbert (1885), « The coming slavery », The Man versus the State, p 22-53
[18] Pisier, Evelyne (2005), « La Nation-Etat : Le colonialisme », Histoire des idées politiques, p 329-419.
[19] Pisier, Evelyne (2005), « l’État-Force : Le bio-historicisme », Histoire des idées politiques, p 287-328.
[20] idem

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